Sunday, February 17, 2008

Lecture & Réflexions

Oui, ok, le titre est vraiment pompeux, et alors ? Je peux bien des fois sortir du « la tonte des montons », nan ?

Grâce à mon cher Guy, que je salue au passage, j’ai découvert l’existence d’un bouquin de qualité qui parle Tristan. Les bienheureux de la Désolation, c’est le titre (l’île de la Désolation est apparemment le surnom de Tristan), de Hervé Bazin, se propose de raconter l’aventure de ces insulaires, arrachés à leur île en 1961 par l’éruption du volcan tout proche du village. On les suit de l’évacuation de l’île au retour, deux ans plus tard. Je me suis donc arrangé pour obtenir le bouquin en question, et grâce à une logistique familiale ma foi fort bien rôdée, je l’ai reçu au bout de quelques mois seulement…si si, c’est possible ! Je m’étais promis de le garder pour plus tard, comme un gosse qui aurait reçu son paquet de bonbons favoris (ce que j’ai aussi reçu d’ailleurs), mais je n’ai pas vraiment tenu à la tentation (et les bonbons aussi ont pris une sérieuse claque) ! Bref, je l’ai finalement lu en 2 jours, et je ne peux que vous le conseiller.

Bien sûr, le fait de connaître l’île, de connaître ses habitants et d’être un petit peu familier avec leurs modes de vie permet d’apprécier encore plus. Et le fait de pouvoir en discuter avec les anciens, de voir leurs états d’esprit à l’époque est vraiment passionnant. Les noms des personnages sont changés, mais pas suffisamment pour brouiller les pistes. Les Swain sont ainsi devenu les Twain dans le roman, les Glass les Glad, et ainsi de suite.

Ce qui frappe dans ce bouquin, c’est le tempérament, c’est la volonté et la persévérance des insulaires. Ça j’avoue que ce n’est pas quelque chose qui me frappe dans la vie au jour le jour. La nouvelle génération en est peut-être moins imprégnée, et les vieux de moins en moins influents. La sagesse de la génération adulte dans les années 60 contraste aussi avec ce que j’ai l’occasion de voir ici. A l’époque, après leur séjour en Angleterre, ils avaient pris conscience de l’aide potentielle qu’était la technologie, mais ils se méfiaient comme de la peste de l’abus de gadgets. La technologie pour eux devaient aider le quotidien, l’assister, pas le transformer. Ceci dit le superflu d’hier devient le nécessaire d’aujourd’hui (ça ça se voit que c’est pas de moi, non ?). Il y a 45 ans, pas une voiture sur Tristan (mis à part celle de l’admin, la célèbre Land Rover des officiels). Et le bon sens d’alors faisait dire aux locaux « une voiture, mais pour aller où ? Et pourquoi faire, alors que je peux marcher ». Aujourd’hui, chacun a sa voiture (une centaine sur TdC !), et l’utilise même pour aller au supermarché parfois (pourtant pas franchement loin !). Le téléphone, c’est différent, compte tenu des proches qui sont restés en Angleterre, c’est un moyen plus pratique que la radio pour garder le contact. Mais voilà, même si maintenant toutes les maisons ont le téléphone (depuis 1 an seulement), certains en veulent plusieurs par maison (qui n’est généralement pas immense non plus, mais ça fait bien d’avoir le téléphone dans la chambre). Le stage forcé de mise au goût du jour en Angleterre a laissé plus de traces que prévu, surtout sur la génération qui était alors montante, celle qui a le pouvoir aujourd’hui. Finalement, ce n’est pas si différent de chez nous. Les anciens débitent toujours les « de mon temps, blabla… » et les jeunes de n’en faire qu’à leurs têtes.

Mais le problème, c’est qu’ici, cette évolution met en danger ce qui fait le fondement de l’île. On veut un nouvel ordi portable, on veut une chaine hifi, Andy a un téléviseur 35 cm, alors il m’en faudrait un plus gros. Ce dernier point, le « il m’en faut un plus gros » n’est pas encore très net. Mais Daren a une vieille BMW série 5, et Nikki une Mercedes. Comment en une et une seule génération, on a pu passer du « je connais ce qui se passe sur le continent et je plains ces gens » au « j’aimerais bien avoir une belle caisse comme eux. »…

Alors bien sûr, Connie le policeman se vante de ne pas avoir de criminalité, pas de vols, et ça restera sans doute le cas un bon moment. Mais certains (un surtout) ont compris l’argent, ont compris comment le détourner, et aujourd’hui on se retrouve avec une île qui a perdu 3 millions de livres en 10 ans, et dont le reste des finances pique dangereusement du nez.

Tant que la communauté vivait dans son coin du monde, dans une autosuffisance totale ou presque, pas de problème. Mais maintenant, pourquoi traire les vaches alors qu’acheter le lait et le faire venir de Cape Town n’est finalement plus qu’un coup de téléphone à passer, un mail à envoyer. Pas mal des expats présents ici jugent les Tristanais fainéants (et venant du prêtre qui travaille une fois par semaine le dimanche matin comme il aime à le dire, ça me fait doucement sourire). Non les Tristanais ne sont pas plus fainéants que nous, ils sont différents. On importe le lait, mais pour une raison pas vraiment claire, on continue de cultiver intensément les patates, on prend des jours de congé parce qu’il faut aller les sulfater ou semer le 12ème champ. Au final, la récolte est trois fois plus importante que la consommation potentielle. Les Tristanais se cherchent toujours, font des choix (pas toujours judicieux) dans certains domaines, et ne s’attaquent pas à d’autres.

Et si une éruption se déclenchait demain ? Est-ce-que, cette fois encore, ils voudraient revenir en bloc, ou est-ce-que cette fois-ci, ils diraient « bon ça va là, on en a marre, on se pose au Cap ou ailleurs, en France tiens, ça pète la France ».

On est passé sur Tristan d’un mode de vie unique à un cadre de vie unique. C’est différent, et c’est aujourd’hui ce qui plait ici je pense. Ils s’en vantent : on peut laisser les enfants dehors à n’importe quelle heure le soir, les clés sont toujours sur les contacts, la banque est aussi bien protégée que le poulailler du coin. Comment ne pas faire confiance à son voisin, quand on le connaît depuis toujours, quand il est d’une façon ou d’une autre lié à sa propre famille ? Pendant les vacances d’été, c'est-à-dire en décembre janvier, c’est évident. C’est plus que de la simple confiance, c’est les réminiscences d’une grande famille qui apparaissent au grand jour. Probablement moins soudée qu’il y a 40 ans, mais encore bel et bien là.

C’est unique au monde ou presque ce genre de situation. Mais est-ce-que dans 30 ans, dans 50 ans, ça sera toujours possible de vivre sur Tristan ? Les ressources ne sont pas infinies, en dehors de la langouste, on a vite fait le tour. Un écotourisme qui ne sera jamais de masse, un joli tampon sur son passeport, deux ou trois timbres à collectionner. Il faut être conscient que TdC a aussi pu se développer grâce à la force du pound sur le rand sud africain. Mais le prix du fuel, lui, quelque soit la monnaie, augmente, et les besoins aussi. Pourtant on ne fait pas rentrer plus d’argent dans les caisses, la compagnie de pêche Sud Africaine qui a la concession paie le forfait, point barre. Le contexte est difficile. Les solutions pas encore trouvées. Le gouvernement britannique a pris/prend conscience de la situation, et commence à mettre en route des projets (le port, les énergies renouvelables à venir). Il est un peu tard, mais surement encore possible d’agir, de redonner un coup de pouce à une île qui s’essouffle, de la relancer, une deuxième fois…Et qui sait, si la situation empire vraiment, peut être que les Tristanais retrouveront les réflexes et le tempérament des anciens !

3 comments:

damien said...

Putain mec !
Il faut que je réagisse !
Comment en 8 mois t'as pu passer de la golf qui miaule à cette réflexion ?
C'est fou ce truc! Clément, je t'aime on va forcément sauver ce monde si on arrive à envoyer tous les ingénieurs en VIe un an dans un coin reculé !

Mec, je sais pas quoi te dire. Je suis ému de te lire.
Bordel

Anonymous said...

de belles réflexions, qui me rappellent beaucoup les miennes, sur la fin de mon séjour...
tu as tout à fait décrit l'état actuel de Tristan.. et les changements à venir qui risquent de tout ébranler..

j'ajouterai un point auquel on a aussi songé, quand Jean était arrivé : la démographie.... le papy boom...
de plus en plus de vieux.. alors que les jeunes ne font plus 4 ou 5 enfants, comme dans les générations d'avant.... cela ajoutera encore un problème, quand une famille devra s'occuper des plusieurs personnes agées, alors que les 2 parents doivent aussi travailler, pour gagner suffisament d'argent, pour continuer à se payer sa bmw, sa télé 16:9 ou encore son ordi portable...

Anonymous said...

Ah Kerf, j'avais du mal à croire ta note de philosophie au bac mais là j'avoue : c'est bien écrit, c'est construit, il y a de vraies idées derrière et en plus ça semble te préoccuper.

Les gars, je vous rejoins pour sauver le monde !

P.S.: rappelle-toi, toi qui traitait ce Bazin de tocard ;->


Edinburgh of the Seven Seas